Le fauteuil qui ne voulait pas veillir seul. épisode 1
Lorsque je l'ai vu en photo la première fois, j'ai su que nous allions nous rencontrer et faire un bout de chemin ensemble. Je prends donc ma petite auto et pars dans la campagne normande à la rencontre de ce beau ténébreux.
Il est de style Napoléon, oui, mais aussi très certainement d'époque. La personne qui me l'a cédé l'avait reçu de son beau-père, lequel, ébéniste de son état, serait aujourd'hui plus que centenaire. Or cet ébéniste a reçu ce fauteuil au titre d'antiquité... déjà ! En calculant bien, il est tracé de façon certaine jusqu'à la fin du XIXème siècle, mais plus certainement de la moitié de ce même siècle.
Cependant, il ne présente aucune blessure fâcheuse, preuve que la dernière restauration était de qualité et surtout que le fauteuil a peu servi : l'assise est ferme, même si on sent un petit peu les ressorts. La toile est propre en dehors d'une auréole, et défraîchie.
Nous voilà donc partis pour revenir au bercail quand ledit fauteuil me tint à peu près ce discours :
"j'ai connu plusieurs guerres, reçu dans mes bras accueillants les veuves de la Première, et tremblé sous les bombes de la Seconde. J'ai craint pour mon avenir quand les maisons voisines s'effondraient dans un dernier rugissement, noyées sous les gravats... et puis je suis passé de main en main. On m'a opéré, restauré, deshabillé et puis rhabillé. J'ai connu un salon rutilant et la solitude poussiéreuse d'un grenier, et puis une longue traversée du désert dans une chambre vide, quand ceux que j'ai connus en culottes courtes ne juraient plus que par le formica. Aujourd'hui, je suis vendu pour une bouchée de pain, pour leur permettre de se débarasser de moi... J'en ai connu des réunions de famille, des confidences dans le salon en clair obscur, j'en ai accueilli des petits pieds impatients qui me piétinaient pour atteindre l'étagère la plus haute...
Alors je te le dis : parvenu à cet âge vénérable, pour les services rendus à l'espèce humaine, je demande à ne plus vieillir seul. Je veux de la compagnie."
Passablement interloquée par la demande ainsi formulée, je suis rentrée et me suis mise à l'ouvrage. Cela passe par le déhabillage. Rien de très glamour dans cette opération qui ressemble plutôt à un corps à corps musclé et dangereux si on n'y prend garde.
Il faut en effet ôter un à un les clous de tapissier alignés les uns derrière les autres comme des petits soldats de plomb. Ils se défendent bien, gage du travail de qualité du dernier tapissier qui a travaillé sur ce fauteuil. Le tissu est de belle facture, même si en bavardant avec l'ancien propriétaire, j'apprends que ce fauteuil était garni d'une tapisserie d'Aubusson, apparemment, qui valait "bien plus cher que le fauteuil".
Sous la toile je trouve une toile blanche, sous laquelle on peut deviner le crin et les ressorts pour l'assise. J'ai aussi trouvé les restes épars d'une ouate tellement usée qu'elle tombait littéralement en poussière.
L'ancien propriétaire, qui semble bien connaître les essences de bois, m'affirme qu'il s'agit d'acajou massif. Bien entendu il est noirci, comme on le faisait à l'époque, et je suis curieuse de voir ce qui se cache sous des décennies de teinture, de cire et de poussière.
Je prends du papier de verre et doucement, je commence à gratter. La poussière qui tombe est très sale, et il va me falloir beaucoup de patience et d'huile de coude pour parvenir à mes fins.
(si vous avez des infos sur les meubles de cette époque, je suis curieuse d'apprendre !)
Allez, suite au prochain épisode !
Senami